Vimy : Est-il possible de se souvenir jusqu’au point où l’on oublie tout ?


Vimy : Est-il possible de se souvenir jusqu’au point où l’on oublie tout ?

Après plusieurs semaines de ferveur nationaliste et d’hystérie médiatique, les célébrations du 90e anniversaire sont maintenant finies. Peut-être qu’on peut profiter de cette distance pour se demander pourquoi nous célébrons un événement dont a résulté la mort de 20 000 Allemands et 3500 Canadiens.

On appelait la Première Guerre mondiale « la der des ders », c’est-à-dire la guerre pour mettre fin à la guerre. Mais en fait, la fin de cette guerre a non seulement provoqué la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi la division des territoires des pays vaincus (les Empires allemand, austro-hongrois et turque) a entraîné les lignes de fracture de nombreuses guerres ethniques jusqu’à nos jours. Cet anniversaire coïncidant avec six morts canadiens en Afghanistan, le Premier ministre Stephen Harper n’a pas pu s’empêcher de faire des parallèles entre la guerre de 1917 et sa propre aventure militariste d’aujourd’hui. Et peut-être les parallèles ne sont pas si incongrus qu’ils le semblent. On nous explique que la Première Guerre mondial était une « guerre pour la liberté », alors qu’il s’agissait d’une guerre entre des empires rivaux pour le partage de la richesse du monde. À notre époque, derrière la rhétorique de la « libération des femmes afghanes » on trouve la redivision de la carte du Moyen-Orient selon le pouvoir de l’empire américain, ses alliées et ses rivaux. Et comme on ne mentionne pas les morts allemands de 1917, les morts afghans aujourd’hui ne sont même pas comptés; nous présumons que c’est seulement les guérillas talibanes qui font l’objet de notre fusillade. 

On nous explique que la bataille de Vimy a changé la direction de la guerre et, même si la boucherie a continué pendant 18 mois de plus, les Allemands étaient, dès ce moment, en position de retraite. Mais cette rhétorique ignore l’événement le plus significatif de 1917 : le refus catégorique des troupes russes de continuer la boucherie. Ceci a ouvert les premières négociations de paix depuis le début de la guerre, la seule chose qui pouvait faire sortir l’Europe de l’impasse d’une guerre d’attrition.

Ce que nous entendons le plus cette année, c’est l’idée de la « naissance d’une nation » lors de la boucherie. Si la nation du Canada a été vraiment fondée à partir de là, on peut très bien demander pourquoi la preuve de sa supposée indépendance de l’Empire Britannique fut de faire la guerre pour les intérêts de cet empire.

Même en 1917, il n’y avait pas le consensus au Canada que M. Harper aimerait croire. Après le désastre de la Somme et même le « succès » à la crête de Vimy, il n’y avait pas beaucoup de soif pour la guerre dans la population. Une campagne visant la création d’un contingent de 40 000 hommes n’a engagé que 1858 personnes. Comme le carnage en Europe nécessitait toujours autant de vies de jeunes hommes, les meneurs de guerre auraient eu besoin d’une autre tactique pour se les procurer.

En juillet 1917, le gouvernement de Robert Borden a énoncé la Loi du service militaire, qui a forcé la conscription. Cette annoncé a été accueillie au Québec avec une série de manifestations et d’émeutes. Le 17 juillet, une manifestation à Montréal proclamait le refus de participer dans une guerre pour l’empire Britannique. Les manifestants ont comparé la relation du Québec et du Canada avec celle de l’Irlande et du Royaume-Uni, faisant référence à l’insurrection de Pâques en 1916.

En 1918, juste avant Pâques, l’arrêt d’un jeune homme de 23 ans dans une salle de quilles à Québec pour avoir négligé de se présenter pour son service militaire a provoqué quatre jours d’émeutes. Plusieurs figures publiques étaient pressées de condamner la violence (principalement contre la propriété) lors de ces manifs, dont le cardinal Louis-Nazaire Bégin qui s’est prononcé contre les « troubles ». Mais l’esprit anti-militariste était si présent dans la population que plusieurs prêtres ont condamné la police plutôt que les militants.

Borden envoya des renforts à Québec, menés par François-Louis Lessard, connu pour son rôle dans la répression d’une grève en 1878 et pour sa direction d’un contingent de l’armée qui s’est battu contre Louis Riel en 1885.

Le 1er avril, l’armée a commencé à patrouiller les rues, malgré la promesse antérieure qu’ils ne le feraient pas. Ce soir là, les troupes essayaient de disperser la foule autour de la Place Jacques-Cartier. Quand la foule a décidé de rester, Lessard a décidé de faire charger la cavalerie avec ordre de « shoot to kill ». Quatre personnes sont mortes et plus de 70 ont été blessées. Une enquête a révélé que ces quatre personnes n’avaient même pas pris part aux manifs. Leurs familles n’ont jamais été indemnisées.

Si on veut commémorer ceux qui ont péri dans une guerre, il faut se souvenir de la raison pour laquelle ils ont péri. Ne pas reconnaître la raison pour laquelle une personne meurt consiste à nier la signification de sa mort. Il y a 90 ans, 25 000 personnes ont perdu leurs vies pour s’emparer d’une crête en Belgique. Ceci s’ajoute aux 150 000 Français qui avaient déjà péri dans des vaines tentatives de faire la même chose. Comme les quatre personnes tuées à Québec, ils sont tous des victimes d’un impérialisme affamé de sang. Mais l’exemple des gens ordinaires au Québec, en Russie et en Irlande nous montre que le vrai courage, ce n’est pas de suivre les ordres de massacrer, mais d’y désobéir.

merci à Nancy Turgeon pour les corrections
publiée dans
Résistance ! no 41 (mai 2007)

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