Le Centre de recherche Stanley Bréhaut Ryerson
L’automne passé, je pris un cours à la Bibliothèque Atwater, près du Cégep Dawson. La clientèle de cette bibliothèque « privée » me sembla être principalement des gens retraités de Westmount. Quelle surprise, alors, qu’en montant au deuxième étage je vis des affiches annonçant des manifestations, des campagnes progressistes et des soirées de discussions politiques. J’ouvris la porte et je me trouvai devant un mur couvert par les œuvres complètes d’écrivains marxistes. « Nous avons Marx en allemand, Lénine en russe et le tout en français et anglais » m’expliqua la bibliothécaire. Apparemment j’étais tombé sur la collection de livres de Stanley Ryerson, un des intellectuels marxistes canadiens des plus connus. Pendant sa vie, Ryerson ouvrait sa collection aux travailleurs et militants afin de promouvoir la pédagogie politique. La Fondation Aubin, fondation dédiée à sa mémoire, ouvrit récemment la collection au grand public dans la Bibliothèque Atwater.
Stanley Ryerson
Né à Toronto d’une famille bourgeoise, Ryerson fit ses études à la Sorbonne à Paris, où il fut radicalisé par la gauche française. En revenant au Canada, il adhéra au Parti Communiste du Canada (PCC) et pris rapidement une position au Comité Central. En même temps, il enseignait à l’Université Sir George Williams (le prédécesseur de Concordia) jusqu’à ce que ses affiliations politiques eut été découvertes.
La stratégie du PCC dans les années 30s était de peindre l’histoire du Canada en couleurs progressistes, afin de gagner l’appui des nationalistes canadiens. Cette stratégie faisait partie d’une stratégie du mouvement communiste global de l’époque, venant de Moscou, celui du Front National. Cette théorie demandait que le mouvement ouvrier offre des concessions à la bourgeoisie « progressiste » afin de faire des alliances avec elle. Plus particulièrement, cette stratégie nécessitait un rejet totale de l’idée de la souveraineté du Québec. Par contraste au PCC, la recherche de Ryerson se concentrait sur les relations réelles entre le Québec et le Canada.
Son premier livre, 1837: The Birthplace of Canadian Democracy (la Naissance de la démocratie canadienne) fut lancé en 1931. Il s’agit d’un livre destiné à une audience populaire, plutôt qu’académique, et qui entendait préparer le terrain pour ses autres œuvres, maintenant rendus classiques : Le Canada français, sa tradition, son avenir (1945), Capitalisme et Confédération : aux sources du conflit Canada/Québec (1972) et Unequal Union (Union inégale, 1968).
Je rencontrai le président de la fondation, Aziz Fall, à la bibliothèque pour discuter de Ryerson et de sa collection de livres.
Résistance! : En quoi le travail de Ryerson est-il pertinent ?
Aziz Fall : D’abord, c’est son analyse de la nature même du Canada et la nature du capitalisme canadien qu’il faut regarder. Il avait la lucidité comme historien de voir la caractère distinct de la nation québécoise, d’être partisan de son droit à l’autodétermination, ce qui va lui poser beaucoup de problèmes. Donc, il fait partie d’un des premiers dans le monde anglophone qui prend conscience de cette réalité-là parce qu’il eût une lecture critique de la manière dont se sont édifiés le Haut et le Bas Canada.
Stanley a tenté d’appliquer, dès le début de l’histoire du Canada, une distinction entre les forces productives et la production, les conflits de classes au Canada, choses qui en général étaient soit niés, soit qu’on qualifiait de secondaire ou d’épiphénomène. Et lui, il a eu le mérite de le démontrer, en illustrant qu’il y a un rapport avec la condition amérindienne et avec l’existence des deux peuples fondateurs.
R! : Son analyse a créé des tensions entre lui et les autres dirigeants du Parti Communiste, ce qui est démontré dans la collection. Par exemple, on trouve un dépliant polémique de Tim Buck (chef du Parti Communiste de Canada entre les années 30s et 60s) titré « Pourquoi le Québec n’a pas le droit à l’indépendance ». Quelle était la relation entre lui et le parti ?
AF: Je pense qu’il a fait au sein du Parti Communiste un travail d’ouverture aux autres qui voyaient dans une optique pancanadienne leur travail. Je pense qu’il a sensibilisé des gens. Ç’a pris au moins 25 ans pour le Parti Communiste d’admettre cette évidence-là.
Le mérite est qu’il a posé ce débat-là et d’avoir ensuite oser prendre parti. Et on peut rien se reprocher de ça même si cela a provoqué une crise. Il faut dire que cette crise est venue s’ajouter à d’autres crises qui consacraient la crise ontologique même du Parti Communiste du Canada et du mouvement communiste international à travers les dérives du stalinisme.
La collection
R! : Qu’est-ce qu’on trouve dans la collection?
AF : Il y a des écrits marxistes primaires, dans leur propres langues et, en plus, leur traductions et ensuite ce qu’on appelle les écrits secondaires du marxisme, les gens qui ont écrit sur le marxisme.
[Les fondateurs de la Fondation Aubin] se sont créer toute un bibliographie très impressionnante, sur les descendants du marxisme, donc les variantes du socialisme et du communisme, finalement tout ce qui est anti-systémique. Les fondateurs étaient très multidisciplinaires, donc ils s’intéressaient par leurs formations professionnelles à l’histoire, mais en réalité ils avaient des intérêts pour la science pure, pour la linguistique, la culture, ils avaient de l’intérêt pour l’histoire du Haut et du Bas Canada, pour l’histoire de l’évolution du Québec contemporain, pour la question de la souveraineté, ils avaient une très grande ouverture sur les changements contemporains du monde et l’histoire du monde, et donc on a des ouvrages d’économie politique sur l’Asie, sur l’Europe, sur l’Afrique, le tiers monde en particulier, sur la condition féminine, sur les relations des États-Unis et la Russie pendant la guerre froide, et sur les questions à caractère beaucoup plus philosophique, dont la philosophie de la science et l’histoire de la science.
Nous avons aussi des livres rares, donc des livres du 18e et 19e siècle … et nous avons aussi une collection de pamphlets, ce qu’on appelle les « brochures », dont le matériel activiste des mouvements durant la guerre d’Espagne, durant la guerre mondiale, qui sont des documents de grande valeur parce qu’ils sont rares.
La particularité des ouvrages, c’est que les fondateurs ont écrit dans les marges, ont souligné, ont écrit des commentaires. Ça donne une valeur singulière à la collection.
L’ouverture de cette collection au grand public est un défi extrêmement bienvenu. La collection permettra aux militantes de redécouvrir les œuvres de plusieurs auteurs marxistes et progressistes. Si vous faites de la recherche sur l’histoire du Québec ou du Canada ou sur les relations entre le Québec et le Canada, vous pouvez compter sur le fait que c’était la spécialisation de Ryerson. La collection regroupe, alors, presque tout livre écrit là-dessus entre 1930 et 1990 ! Mais la collection n’est pas sans fautes ; elle est bien sûr le produit de son époque. On peut malheureusement constater le manque quasi-total de livres venant de la tradition trotskiste. On trouve, par exemple, trois livres de Trotski et un de Ernest Mandel, alors que Staline est représenté par son oeuvre complète. On dirait que la collection n’est pas nécessairement représentative de la tradition marxiste, ainsi que des intérêts de Ryerson lui-même. Ceci étant dit, la collection est un excellent souvenir de la vie d’un intellectuel très important et un outil qui peut nous aider à comprendre le monde aujourd’hui. Selon Fall :
Ce qu’il apporte, et qui reste rafraîchissant, est que le système peut-être analysé, le système peut être compris. Que les forces laborieuses, que les forces organisées qui veulent le renverser peuvent le faire, donc l’idée que l’espoir est toujours possible dans notre monde. Ça c’est quelque chose qui ne meurt pas et Ryerson.
La collection de livres de Stanley Ryerson est disponible à la Fondation Aubin :
Bibliothèque Atwater : 1200 avenue Atwater, salle 1 (2e étage)
Heures d'ouverture, hiver 2007 :
Heures d'ouverture, hiver 2007 :
vendredi, et samedi, de 12h30 à 16h30, mercredi, 13h30 à 16h30
www.fondationaubin.org
(514) 937-8798
Trouvailles : des livres outils, classiques, rares et bizarres
« L’esprit révolutionnaire dans l’art québécois »
« Chansons et poems de la résistance ! » collection de chansons indépendantistes et socialistes du Québec
Bandes dessinés alter mondialiste de l’Inde
Les communiqués complets de l’Internationale Communiste
Œuvres complets de Marx, Engels, Lénine, Luxembourg en français, anglais et autres langues
Collection énorme de livres sur les relations Québec Canada
Journaux marxistes de divers pays.
Dépliante anti-indépendantiste par Tim Buck (chef du Parti Communiste de Canada aux années 30s au 60s)
Un livre de théâtre du type « réalisme socialiste » canadien (le réalisme socialiste était la seule forme d’expression favorisé et permis par Staline). Au lieu de personnages et histoires on trouve des dénonciations de méchantes capitalistes stéréotypés et des demandes d’appuie pour l’URSS.
« Le psychologie de l’anti-capitalisme » : un livre écrit par un libertaire de droit, analysant des problèmes psychologiques qui causent un personne de devenir anti-capitaliste
Un livre sur la raegalia de Louis XVI, traduit en italien
-merci à Nancy Turgeon pour les corrections publié dans Résistance! no 39 (février 2007)
Thanks Matt, this is really interesting. I'll have to get a copy of R! from Benoit.
ReplyDeleteDo you mind if I copy/paste this post into my blog?